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Fidélité au Gaullisme

La dernière lettre de notre club[i] résume le remarquable travail de la commission animée par Jean-Luc Hau ; souscrivant pleinement à sa conclusion qui appelle à poursuivre la mise en œuvre de la « participation » sous toutes ses formes, je me suis posé la question : qu’est ce que la fidélité au gaullisme ? Si ce n’est pas une revendication prétentieuse et nostalgique d’anciens combattants, quel sens peut-elle prendre aujourd’hui, un demi-siècle après ?

La période où nous sommes entrés depuis l’écroulement du communisme en Europe, n’a pas comblé le rêve d’un développement mondial concerté, ordonné, démocratique : des conflits s’ouvrent ou menacent, les coopérations reculent au profit d’affrontements protectionnistes, les principes démocratiques sont bafoués dans de nombreux pays.

Les structures de l’organisation internationale en place depuis la dernière guerre sont remises en question.

L’ouverture espérée débouche sur la fermeture !

La France, quant à elle, est en dépression aigüe.

Inutile d’en reprendre l’analyse déjà largement faite : pessimisme face aux évolutions en cours, perte de confiance dans les « élites dirigeantes », conviction d’être laissés pour compte, exacerbation des replis catégoriels (les archipels…), résurgence du vocabulaire « lutte des classes » et « révolution », justification de la violence et de la casse, regain de faveur des solutions simplistes et populistes, progression du vote aux extrêmes…

A ces expressions de mal-être se surajoutent les effets réels et les ressentis d’une immigration insuffisamment maitrisée et aggravée par la menace terroriste islamiste.

Les évolutions récentes dans de nombreux pays occidentaux affichent des traits comparables sur une toile de fond de « mondialisation » et de bascule de l’Atlantique au Pacifique : la vieille Europe et même les Etats Unis progressent moins vite que la Chine et nombre de pays émergents.

Premier changement d’échelle, première source d’inquiétudes collectives.

Le second changement est le décrochage, dans ces mêmes pays, d’une large partie des classes moyennes, en contraste avec l’ouverture de l’éventail des revenus et plus encore des patrimoines ; à l’œuvre, la désindustrialisation, l’extension croissante du numérique, la robotique, l’intelligence artificielle, réduisent le nombre des emplois accessibles aux mains d’œuvre peu formées : deuxième source d’inquiétude.

Impression exagérée ? Non, réel amoncellement des problèmes.

Le fait est que nous sommes entrés dans une phase d’accélération sans précédent des progrès scientifiques et techniques.

Le fait est que le réchauffement climatique, la transition énergétique, la sauvegarde de la planète font peser sur les responsables et sur l’entière humanité des menaces et de lourdes obligations.

Le fait est que la mondialisation est une donnée acquise, non seulement, par l’interdépendance généralisée qui nous lie mais plus encore comme seule dimension pour affronter tous les défis, en ce y compris flux de population, de marchandises, de services, de capitaux.

Face à ce tableau que peut signifier fidélité gaulliste ?

D’abord un comportement : exemplarité et refus de faire parler de Gaulle.

Exemplarité : tout responsable public ou privé se doit, comme le fut le Général, d’être irréprochable jusqu’au scrupule et donc insoupçonnable dans son rapport aux faciles tentations de l’argent ; c’est déjà assez que les réseaux sociaux d’internet, les « fakes news » vous atteignent à tort encore même faut-il ne prêter le flanc à aucune mise en cause.

Faire parler de Gaulle, nul n’en a le droit : personne ne peut se prévaloir de ce qu’aurait dit ou fait le Général, qui d’ailleurs nous a souvent surpris.

Ensuite aimer la France et donc les français, tels qu’ils sont, souvent enthousiasmants dans les épreuves, parfois incompréhensibles et décevants…

Et donc, toujours, avoir pour la France un rêve : être convaincu que puissance moyenne par sa population et son poids économique, notre Nation Etat, par son passé, son rôle dans l’histoire des hommes et des idées, la ressource renouvelée de ses talents créatifs, a pourtant un rôle spécifique à jouer.

Ce rêve, inévitablement bridé par le reproche d’orgueil souvent imputé aux français et par l’exigence d’un réalisme exempt de naïveté, suppose de voir loin, de discerner en tous domaines les données stables de base et les forces agissantes, perceptibles ou cachées, celles qu’il faut encourager et celles qu’il faut combattre.

Ne pas donc se laisser piéger ou borner par les évènements de court terme.

L’on mesure avec le recul combien cette vision à long terme du Général de Gaulle a trouvé de confirmations: l’issue de la seconde guerre mondiale, la fin du communisme dans l’éternelle Russie, l’émergence de la Chine, le faible « européisme » de la Grande Bretagne.

Nous voyons combien était justifiée sa volonté d’indépendance appuyée sur la possession de l’arme nucléaire au moment où les Etats Unis se désengagent sinon des affaires du monde du moins de la défense de l’Europe.

Il est aujourd’hui évident que se joue en Europe une part essentielle de notre avenir : migrations, transition énergétique, équilibre du commerce extérieur dont gestion du Brexit, harmonisation budgétaire et fiscale. L’impulsion de la France (et l’action de son commissaire au marché intérieur) est une contribution capitale au réveil de l’Europe comme acteur et comme modèle sur la scène mondiale.

La limite de ces quelques réflexions ne permet pas même de supputer les évolutions que le Général pouvait envisager à la suite de l’explosion de 1968 et dont la décentralisation régionale rejetée par le referendum du 27 avril 1969 n’était qu’un premier jalon.

La figure de la maison France serait différente aujourd’hui si cette réforme avait vu le jour.

La demande d’une décentralisation plus franche, d’une association plus étroite et multiforme des citoyens est au nombre de revendications profondes auxquelles il faut apporter, un demi siècle plus tard, des réponses réalistes et adaptées.

Mais la participation proprement dite dans l’esprit de de Gaulle, allait plus loin que les premières étapes franchies en 1967.

A présent, la conscience apparait plus clairement au niveau mondial que le partage de la valeur appelle une profonde transformation du capitalisme qui prenne en compte les valeurs sociale et environnementale et non le seul objectif de maximiser le rendement du capital investi.

Des économistes éminents remettent en cause les dogmes de l’école de Chicago et de Milton Friedman sur la suprématie du marché quelles que soient les inégalités créées : même aux Etats Unis des chefs d’entreprise commencent à s’engager et l’impôt sur la fortune fait à nouveau débat.

Chez nous, à la suite des lois Ayrault et Rebsamen, la toute récente Loi Pacte, en créant la société de mission, en généralisant les accords d’intéressement, ouvre une phase nouvelle.

Le paradigme de l’entreprise citoyenne fait son chemin dans le monde économique et politique français, en témoigne la récente création du « pôle éthique des affaires ».

A l’opposé des dérives choquantes de l’économie financiarisée l’objectif est de concilier les vertus créatrices du marché avec la nécessité de préserver la planète et d’y réduire les inégalités.

Tel apparait aujourd’hui l’horizon de la participation gaulliste : un rêve d’idéal peut-être, mais rien de grand ne se réalise sans visée ambitieuse, pour la France elle-même et pour son action en Europe et dans le monde.

Bien sûr, la fidélité gaulliste ne se réduit pas à la participation.

Cependant tout commande de la mettre au cœur des efforts pour rassembler ce pays tâche aussi essentielle qu’elle le fut lors des crises majeures de 1940 et 1958.

Notre club est modeste mais sa raison d’être est de s’employer à cette mission, d’être le ferment dans la pâte, un agitateur d’idées, un excitateur.

Loin de nous isoler dans un sympathique ghetto mémoriel soyons convaincus que par ce rôle nous pouvons aider notre pays à repartir dans le bon sens, celui d’un apaisement constructif.

Il s’agit rien moins que redonner du contenu aux deux termes par trop oubliés -égalité, fraternité- de notre devise républicaine mais sans jamais sacrifier le premier : liberté.

Au XXe siècle ont failli triompher deux systèmes pervers et désastreux. Que le XXIème siècle en garde la leçon et se consacre à sauver la planète et améliorer la vie des hommes.

Se dire gaulliste, finalement, n’est ce pas se vouloir « en avant ».

 Jacques TRORIAL

Ancien ministre du Général de Gaulle

Paris le 22 février 2020

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